La détresse suicidaire dans l'Éducation nationale : une réalité préoccupante

La question de la santé mentale des enseignants et des personnels de l’Éducation nationale est d’une urgence criante. La détresse suicidaire, en particulier, représente une problématique qui touche non seulement les élèves, mais aussi les acteurs principaux du système éducatif : les enseignants, les personnels éducatifs et administratifs, les Psy EN, et plus largement tous ceux qui œuvrent dans l'ombre pour le bon fonctionnement de l’école.

Des conditions de travail de plus en plus difficiles

Être enseignant, c’est assumer une double responsabilité : celle de transmettre des savoirs et celle de veiller au bien-être des élèves. Les personnels doivent gérer une multitude d’élèves aux profils divers, avec des situations familiales, sociales ou psychologiques parfois lourdes. La charge mentale et émotionnelle est considérable et le système éducatif actuel connait des exigences croissantes : classes de plus en plus chargées, pressions sur les résultats, multiplication des réformes, réduction des moyens alloués. Il devient difficile de concilier vie personnelle et professionnelle.

Tous ces facteurs accentuent les risques psychosociaux.

Dans un système dégradé et sous tension, les violences au travail, le harcèlement, le mobbing sont davantage observés et le stress post-traumatique, l’épuisement professionnel, le burn-out, l'anxiété et la dépression sont des pathologies de plus en plus fréquentes.

La santé et sécurité au travail

L'Etat a une obligation de résultats en matière de santé et sécurité au travail. Il dispose à ce titre d'instances et de dispositifs spécifiques de signalement des risques, des violences, des discriminations, ainsi que de protocoles dans la prise en charge de la crise suicidaire. 

Cependant, d'après les témoignage recueillis, les mesures de prévention et de protection affichées en matière de santé et sécurité au travail semblent appliquées de manière très inégale d'une académie ou d'un établissement à l'autre. 

Les victimes ne trouvent pas toujours  le soutien institutionnel escompté, se retrouvant par la-même doublement isolées.

Il est décrit par ailleurs une stigmatisation de la souffrance psychologique, perçue comme une faiblesse ou une incapacité à "faire face". 

Les dispositifs de soutien en santé mentale pour les personnels existent mais, en nombre restreints, ils sont souvent perçus comme inaccessibles. Des personnels hésitent à recourir à ces services, par peur de stigmatisation ou de conséquences sur leur carrière.

Enfin, les devoirs de loyauté, d'obéissance et de réserve apparaissent comme des obstacles à la révélation des situations de violences et harcèlement au travail. 

Les conséquences pour l'ensemble du système éducatif

La souffrance dans l’Éducation Nationale a des conséquences pour l'ensemble du système éducatif. La dégradation de l’état psychologique peut altérer la qualité de la prise en charge des élèves. Le climat scolaire peut également se détériorer.

La souffrance au travail engendre une perte de talents dans la profession, avec des départs anticipés, des reconversions professionnelles ou des arrêts maladie fréquents. Cela accentue la précarisation et le manque de continuité pédagogique. Le turn-over élevé des enseignants dans certaines académies aggrave encore la situation en créant une instabilité dans les établissements scolaires.

La nécessité d'une approche plus globale et humaniste

La souffrance et la détresse suicidaire dans l’Éducation nationale ne doivent plus être un sujet tabou. Elles nécessitent une prise de conscience collective, ainsi que des actions concrètes pour améliorer les conditions de travail, lutter contre le harcèlement, renforcer le soutien psychologique et hiérarchique et la reconnaissance des personnels.

Il est urgent d’aborder la souffrance des personnels sans tabou, sous un angle plus humaniste et de mettre en place des actions concrètes de prévention. Il s’agit aussi d’encourager une véritable culture du soutien et de la solidarité entre collègues, d’intégrer des formations sur la santé mentale, la gestion du stress, la prévention du suicide dans les parcours professionnels et de redonner du sens au métier tout en valorisant l’investissement des personnels.

Il est essentiel que ceux-ci puissent se sentir écoutés et soutenus, non seulement par leur hiérarchie mais aussi par la société.

Enfin, plutôt que de chercher du côté des vulnérabilités des victimes ou de causes multifactorielles au suicide, il est temps de regarder la réalité en face : Le harcèlement au travail et le silence tuent. Il est urgent de trouver les moyens de désinvisibiliser les situations de violence et souffrance au travail et de mieux les prévenir.

Seule une approche préventive et bienveillante pourra permettre d’apporter un changement réel et durable à cette situation alarmante.

Les risques psychosociaux (RPS) dans l’Éducation nationale constituent une problématique majeure qui touche de nombreux personnels, qu'il s'agisse d’enseignants, de personnels administratifs, de conseillers principaux d'éducation ou d’autres agents éducatifs. L'intensification des réformes, les pressions liées aux résultats scolaires, la gestion de la diversité des élèves et la multiplicité des tâches font partie des facteurs qui contribuent à un environnement de travail potentiellement source de stress, de mal-être et d’épuisement professionnel.

1. Comprendre les risques psychosociaux : Définition et causes

Les risques psychosociaux désignent les facteurs liés à l'organisation du travail et aux relations professionnelles qui peuvent avoir des effets négatifs sur la santé mentale et physique des travailleurs. Ils incluent notamment :

Le stress chronique :  il peut être causé par une surcharge de travail, des attentes irréalistes, des délais trop courts, des conditions de travail difficiles.

Le burn-out :  un épuisement professionnel émotionnel, psychique et physique, lié à une pression constante, à un écart entre la représentation et la réalité du travail, à un conflit de valeurs.

Le harcèlement moral ou sexuel :  la mise en place d'un environnement hostile ou dégradant par des comportements abusifs,  intimidants ou à connotation sexuelle ou sexiste.

Le manque de reconnaissance :  l'absence de valorisation du travail effectué, de perspectives d’évolution professionnelle ou de soutien hiérarchique.

Les conflits interpersonnels :  les tensions entre collègues, la gestion des relations difficiles avec les élèves ou les parents.

Dans l’Éducation nationale, ces risques sont exacerbés par des facteurs spécifiques à cette profession, tels que la gestion de classes parfois surchargées, la difficulté à gérer des élèves en grande précarité sociale ou familiale et la pression institutionnelle liée aux évaluations des élèves, aux réformes successives et à la hiérarchisation du travail.

2. Les effets des risques psychosociaux sur la santé des personnels

Les conséquences des risques psychosociaux sont multiples et le stress lié aux RPS peut entraîner des maladies psychosomatiques et une altération générale de la condition physique.

Santé mentale :  stress post-traumatique, anxiété, dépression, troubles du sommeil, troubles alimentaires, perte de motivation et de sens du travail, burn-out, ...

Santé physique :  tensions musculaires, troubles digestifs, maux de tête, fatigue chronique,...

Les personnels peuvent ressentir une grande détresse, pouvant aller jusqu'à la crise suicidaire, à la tentative de suicide ou au suicide.

3. Les mesures de prévention et les dispositifs existants

Face à ces risques, des mesures de prévention sont mises en place par l’Éducation Nationale pour protéger les personnels et améliorer leur bien-être au travail. L'Etat a une obligation de résultats en terme de protection de la santé et sécurité des personnels et doit agir à la fois sur la prévention primaire, secondaire et tertiaire.

A. La prévention primaire : agir sur l’organisation du travail

Une gestion plus équilibrée des tâches, la réduction des tâches administratives non essentielles, l’adaptation des horaires de travail ou le télétravail peuvent réduire la pression exercée sur les enseignants et autres personnels éducatifs.

La formation des personnels à la gestion du stress, à la communication non violente et à la gestion des conflits peut aider à mieux gérer les situations difficiles.

Un environnement de travail sécurisant et bienveillant avec des espaces de travail adéquats, un pilotage clair et des ressources suffisantes permettent de mieux prévenir les RPS.

B. La prévention secondaire : identifier et traiter rapidement les situations de souffrance

Dispositifs d’écoute et d’accompagnement psychologique : l’Éducation nationale met à disposition des cellules d'écoute et des psychologues du travail pour soutenir les personnels en souffrance. Ces dispositifs doivent permettre de repérer les signes de mal-être et de proposer une prise en charge adaptée.

Soutien en cas de harcèlement : des dispositifs sont également présents pour traiter les cas de harcèlement moral ou sexuel. Il existe des référents harcèlement dans les académies et des procédures pour signaler ces comportements. 

Aménagement du travail : lorsque cela est nécessaire, l’aménagement des tâches ou des horaires de travail peut être mis en place, pour alléger la charge des personnels en difficulté.

C. La prévention tertiaire : accompagner les victimes

Accompagnement personnalisé : lorsqu’un personnel est affecté par un risque psychosocial, un suivi personnalisé doit être mis en place : entretiens avec le médecin de prévention, accès à des dispositifs de soins, mise en place d’une reprise progressive du travail si nécessaire, ...

Reconnaissance de l'imputabilité au service des arrêts de travail : les accidents et pathologies liées au travail doivent être reconnus imputables au service. Des dispositifs d’indemnisation et de reconversion professionnelle peuvent être mis en oeuvre.

Protection fonctionnelle : elle doit être accordée aux victimes et peut prendre différentes formes : prise en charge des frais juridiques, soutien institutionnel, mesures de réparation, ...

4. Le rôle essentiel de la hiérarchie

La hiérarchie joue un rôle fondamental dans la gestion des risques psychosociaux. Les chefs d’établissement, les inspecteurs et cadres de l’Éducation nationale doivent :

Être attentifs aux signes de souffrance des personnels et favoriser un dialogue ouvert sur la question du stress et du mal-être au travail.

Mettre en œuvre des actions de prévention et s’assurer que les dispositifs de soutien sont accessibles et connus de tous.

Agir en toute transparence et sans délai lorsqu’un cas de harcèlement ou de souffrance au travail est signalé.

Déclencher le protocole d'alerte suicidaire et signaler dès que des propos suicidaires sont évoqués.

Accompagner les personnes concernées mais aussi les témoins confrontés à cette détresse 

Encourager un environnement collaboratif et solidaire, où la bienveillance et le respect mutuel sont au cœur de la culture de l’établissement.

5. Agir ensemble pour prévenir les risques psychosociaux

La prévention des risques psychosociaux dans l’Éducation nationale repose sur l'engagement collectif de tous les acteurs : personnels, hiérarchie et autorités académiques. Chacun a un rôle à jouer pour réduire le stress, prévenir le burn out et créer un environnement de travail sain et respectueux. Il est essentiel de maintenir un dialogue ouvert sur ces questions et de veiller à ce que personne ne se trouve isolé face à la souffrance au travail.

En conclusion, les risques psychosociaux sont un défi majeur pour l’Éducation nationale, mais avec une prise de conscience collective et la mise en place de mesures adaptées, il est possible de protéger la santé mentale et physique des personnels. Il est crucial que chaque membre de l’Éducation nationale se sente soutenu, écouté et respecté, afin de garantir à la fois leur bien-être et la qualité du service éducatif rendu aux élèves.

6. Actions de l'association STOP SUICIDE EDUC NAT

L'association par le recueil de situations de souffrance et harcèlement au travail identifie les réponses mises en oeuvre par l'Education nationale pour les traiter et analyse les failles dans la mise en oeuvre des dispositifs de protection existants. Elle met en exergue les difficultés rencontrées par les victimes pour être protégées et obtenir réparation. Au regard des invariants dégagés dans le traitement des situations, elle se veut être force de propositions pour améliorer la prévention de la violence, du harcèlement et du suicide dans l'Education nationale. Elle désinvisibilise les situations où le risque s'est matérialisé ou reste majeur. 

Les Risques Psychosociaux dans l'Éducation Nationale : un enjeu de santé au travail et de qualité de vie professionnelle